FRANCESCO GUICCIARDINI, DIPLOMATE ET HISTORIEN
Beaucoup moins connu en Europe que son contemporain et ami Machiavel, Guicciardini, que les Français préfèrent appeler Guichardin, mériterait de retrouver la place qui lui revient de droit dans l’histoire de Florence mais aussi dans l’historiographie.
Francesco Guicciardini
Francesco naît à Florence le 6 mars 1483. Il est le troisième enfant d’une riche famille florentine, proche des Médicis et son père est considéré comme faisant partie des « cittadini dello stato. » Son parrain est le poète et philosophe néoplatonicien Marcile Ficin, ami de Laurent le Magnifique.
Guicciardini reçoit une éducation soignée et il découvre les grands historiens de l’Antiquité : Xénophon, Tite-Live, Thucydide, Tacite. En 1498, il commence l’étude du droit à Florence puis poursuit ses études à Ferrare en 1500 et à Padoue de 1502 à 1504.
Un instant tenté d’entrer dans les ordres, il y renonce sur l’injonction de son père et en 1505, il soutient son doctorat en droit civil et commence, aussitôt, à exercer le métier d’avocat à Florence. En 1507, il épouse Maria Salviati, alliance qui déplaît à son père. L’époque est troublée : les Médicis ont été chassés du pouvoir par Savonarole, lui-même renversé en 1498. Les Florentins ont alors nommé un gonfalonier à vie : Pier Soderini et Alamanno Salviati, beau-père de Francesco, est l’adversaire résolu du gonfalonier.
Guicciardini nourrit très tôt des ambitions politiques ; en 1509, à l’occasion de la guerre contre Pise, il rejoint le gouvernement de la cité et en 1511, le Conseil des Quatre-Vingts l’élit ambassadeur de la République, auprès du roi d’Espagne, Ferdinand le Catholique. Durant ce séjour, il commence à rédiger des ricordi, réflexions sur ses expériences quotidiennes.
Les Médicis reprennent le pouvoir en 1512, soutenus par les armées espagnoles et vaticanes et Guicciardini décide donc de rentrer d’Espagne en 1513.
Ami de Machiavel, avec qui il entretient une correspondance suivie, il plaide, sans succès, la cause de son ami en défaveur auprès des Médicis qui viennent de le priver de son poste de secrétaire de la chancellerie. Le père de Guicciardini est mort durant son voyage de retour et Francesco, à peine arrivé, lui succède au Conseil des Dix-Sept. Il reprend cependant son métier d’avocat.
Entre 1521 et 1526, Guicciardini rédige le Dialogo del reggimento di Firenze dans lequel il défend l’idée d’une république aristocratique. Inquiet de la puissance de Charles Quint, il milite pour une alliance avec la France et un accord est signé en 1526 à Cognac. Malheureusement, en 1527, la Ligue de Cognac est défaite, Rome est mise à sac et, à Florence, les Médicis sont de nouveau chassés du pouvoir et remplacés par un gouvernement populaire.
En octobre 1529, Guicciardini fait route vers Bologne en compagnie du pape Clément VII qui doit couronner Charles Quint empereur dans la basilique de San Petronio. Considéré comme traître, Francesco est déclaré rebelle en mars 1530, ses biens sont confisqués et il se réfugie à Rome. Pour meubler son oisiveté, il commence alors à rédiger des Considérations sur les Discours de Machiavel, son ami disparu en 1527. La roue tourne et, en 1531, les Médicis reprennent le pouvoir à Florence. Guicciardini est conseiller du duc Alexandre mais, après l’assassinat du duc et l’arrivée au pouvoir de Cosme Ier, il décide de se retirer dans sa villa de Santa Margherita in Montici située à Arcetri, au sud de Florence. Il s’y consacre à la littérature, reprend et ordonne les Ricordi politici e civili, réunit les Discorsi politici et surtout, à partir de 1534, il écrit La Storia d’Italia, œuvre majeure, amorcée dans le passé, qu’il va étoffer et structurer en 20 livres.
Guicciardini meurt en 1540 dans sa propriété et il est enterré dans le chœur de l’église de Santa Felicita à Florence connue aussi pour abriter le chef-d’œuvre maniériste de Pontormo : La Déposition de Croix.
La Storia d’Italia
Ce texte, le plus connu de Guicciardini, relate l’histoire des États italiens entre 1494 et 1534. Guicciardini présente ainsi son entreprise : « J’ai décidé, quant à moi, d’écrire les choses advenues de notre temps en Italie après que les armes des Français, appelées par nos princes eux-mêmes, eurent commencé, non sans grande agitation, à la troubler. »
Il doit rendre compte d’un échec dont il est partiellement responsable en tant qu’instigateur de la Ligue de Cognac, mais aussi de l’échec de l’Italie tout entière, incapable de se passer des princes étrangers.
Il se livre à un gigantesque travail de dépouillement et de contrôle de ses sources : archives de Florence, correspondances des ambassadeurs, livres écrits par ses contemporains. Il souhaite trouver «la vérité des choses» n’hésitant pas à signaler les points de vue divergents. Il ne recherche pas le beau langage ; il veut seulement comprendre et faire comprendre. Enfin, il s’interroge sur l’écriture de l’histoire. Il s’intéresse au pourquoi des choses, il analyse le rapport des forces en présence et met au service du récit historique sa réflexion d’humaniste et de politicien. Contrairement à Machiavel qui cherche les lois universelles et immuables, Guicciardini s’attache au particulier, au contexte de la situation.
Le livre ne paraît qu’en 1561, plus de vingt ans après le décès de l’auteur, mais il est alors traduit dans toute l’Europe. Guicciardini est d’emblée considéré comme le seul écrivain moderne pouvant être comparé aux historiens de l’Antiquité et il influence les humanistes, Montaigne notamment. Le temps passant, sa renommée s’estompe au profit de Machiavel, même si, en 1857, ses descendants Piero et Luigi Guicciardini ouvrent les archives familiales aux chercheurs, ce qui permet de publier les 10 volumes de ses mémoires. En 1996, Robert Laffont, dans la collection Bouquins, publie les 20 livres du texte intégral dans une nouvelle traduction, sous la direction de Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, sans parvenir pourtant, à donner à cette œuvre, la notoriété qui devrait être la sienne.
Hélène Barret